L’étude de cas du groupe logistique Kühne+Nagel et ses conséquences

4 m² de vérité

taz du 9/10.9.2023

La genèse du projet

»4 QM VÉRITÉ« - De la CAMPAGNE au bâtiment

• En 2015,Kühne+Nagel fête ses 125 ans sur la place du marché de Brême et expose à cette occasion l’histoire de l’entreprise. Le taz enquête sur les faits manquants, notamment sur la participation déterminante de l’entreprise à l’enlèvement des meubles d’habitation de la population juive déportée dans toute l’Europe occidentale.

• Crowdfunding : 27.003 euros sont récoltés pour l’achat de 4 m² de terrain sur la place où K+N veut construire son nouveau bâtiment, comme site du mémorial.

• Concours de design : le taz rassemble des idées sur la manière dont »la totalité de la ‘valorisation’ de la propriété juive pourrait être visualisée sous la forme d’un mémorial«. Parmi les 60 participants venus de toute l’Allemagne et d’Autriche, on trouve aussi bien des artistes connus que des classes d’école. Le concours suscite de nombreuses questions et discussions sur la biographie familiale. Un jury d’experts place le projet d’Evin Oettingshausen en première position.

• Exposition à la Bourgeoisie : »Traces de la spoliation - Idées pour un mémorial de l’aryanisation à Brême«.

• Symposium taz : »Arisierung« - sur le traitement de l’héritage de l’injustice.

• Tous les groupes parlementaires de la Bürgerschaft décident, en novembre 2016, de construire le mémorial.

• Longue lutte pour trouver le »bon« emplacement : le mémorial doit-il être situé près de K+N, au port européen, à l’auberge de jeunesse ou quelque part entre les deux ?

• Dynamique : parallèlement au processus politique, des actions artistiques, des mémoriaux temporaires, des contributions à des expositions internationales, des romans régionaux, des reportages radio et des travaux de master voient le jour, déclenchés par »4 m² de vérité«.

• Résultat: en février 2022, le Sénat de Brême décide de construire un mémorial près des Weser-Arkaden, il sera inauguré le 10 septembre 2023.

• Rétrospective et aperçu : taz.de/mahnmal

Les vides et les lacunes de l’histoire :

Le rôle de Brême dans la »liquidation« des biens juifs

Depuis 2015, on discutait à Brême de l’érection d’un mémorial de l‘»aryanisation«, c’est désormais chose faite : inauguré le 10 septembre, il a pour thème, sur les rives de la Weser, entre le pont Wilhelm-Kaisen et les Weserarkaden, le pillage systématique de la population juive.

Le mémorial se concentre sur le rôle particulier de Brême en tant que site portuaire et logistique dans la »liquidation« des biens juifs. Celui-ci repose en partie sur l’émigration massive et forcée de familles juives via Bremerhaven. Mais Brême a surtout profité de l’évacuation des biens juifs des pays occupés d’Europe occidentale (»Action M«). Le groupe de transport Kühne+Nagel, dont l’anniversaire de l’entreprise en 2015 a été le déclencheur du débat sur le mémorial, a joué un rôle déterminant dans cette opération.

Kühne+Nagel s’est efforcée avec succès de jouer un rôle central dans l’enlèvement des biens juifs, aussi bien dans le cadre de l‘»Action M« que dans les villes portuaires du sud de l’Europe. L’internationalisation de l’entreprise s’est donc faite dans les pas de la Wehrmacht : le réseau de succursales dans les pays conquis a servi de base logistique à la spoliation, et l’entreprise a développé en parallèle le secteur d’activité de la logistique militaire - dans lequel elle joue encore aujourd’hui un rôle de premier plan. En d’autres termes, Kühne + Nagel doit à son engagement à l’époque nazie des impulsions de développement essentielles jusqu’à aujourd’hui.

Il n’est pas surprenant qu’il n’ait pas été question de tout cela lors de la grande mise en scène de la fête d’anniversaire de l’entreprise sur la place du marché de Brême, au cours de laquelle l’histoire de l’entreprise a été présentée dans un History-Truck. Mais même en réponse à une demande explicite, la communication de l’entreprise a déclaré que les années 30 et 40 manquaient »de pertinence pour l’histoire de l’entreprise«.

Le cas Kühne+Nagel est un anachronisme - mais il renvoie en même temps à un problème actuel : l’absence de prise en compte par l’ensemble de la société du thème désagréable de l‘»aryanisation«, qui a enrichi, outre l’Etat national-socialiste et les logisticiens de cette »exploitation«, une grande partie de la population. De nombreux foyers brêmois possédaient à l’époque - et possèdent encore en partie aujourd’hui - des meubles et des pianos, des tableaux et des lampes, des objets du quotidien tels que des couverts, qui appartenaient à des familles juives chassées en exil, dont la vie a été détruite, les biens »exploités« et les traces éliminées. Le mémorial aborde également ces dimensions de l’héritage.

Le mémorial sera situé au cœur de la ville, au bord de la Weser, sur laquelle des cargos ont apporté à Brême d’énormes quantités de meubles volés aux Pays-Bas ainsi que des objets ménagers de toutes sortes. Le projet d’Evin Oettingshausen, dont la réalisation a été approuvée par l’ensemble des groupes politiques de la ville, consiste en un puits d’environ six mètres de profondeur, qui ne montre tout d’abord que le vide - l’absence apparente d’histoire, son oubli et son refoulement. Tout en bas, on aperçoit toutefois une lumière latérale. En descendant vers la rive de la Weser, on aperçoit des ombres fantomatiques sur les parois du puits : L’installation thématise ainsi la spoliation totale de la population juive, qui a directement précédé le meurtre de masse. Leurs appartements ont été entièrement vidés, tous les biens des déportés ont été »réalisés«, notamment lors de »ventes aux enchères de Juifs«.

Elvira Noa, présidente de la communauté juive de Brême, faisait partie du jury d’experts qui a proposé la réalisation du projet qu’Oettingshausen avait soumis en 2016 au concours d’idées du taz sous le titre »Leerstellen und Geschichtslücken« (voir encadré). Concernant l’emplacement du mémorial sur le pont Kaisenbrücke, qui a été trouvé après de longs débats sur le lieu adéquat, elle déclare : »Cet endroit convient parfaitement à la commémoration. »L’environnement convient. La »simplicité et la clarté des murs« permettent d’ajouter le mémorial comme une confrontation avec le passé.

Selon la décision du parlement de Brême, tous ceux qui se sont enrichis de la persécution des citoyens juifs* doivent contribuer à la construction du mémorial : les pouvoirs publics, les entreprises et les ménages privés. Tandis que l’intérieur du mémorial, son noyau artistique et conceptuel, est financé par des dons privés, la ville et l’économie mettent à disposition des fonds qui permettent les mesures de construction. Le coût total s’élève à 476 000 euros.

L’appel aux dons a été signé pour la première fois par 210 personnes qui se sont intéressées et engagées dans le projet depuis le début des efforts pour un mémorial (2015) - de nombreux habitants de Brême* ainsi que des spécialistes internationaux des domaines de l’éducation politique, des arts plastiques et des sciences historiques. Cela montre à la fois le soutien professionnel supralocal de la cause et le soutien concret que le projet a gagné dans la société urbaine de Brême.

L’appel aux dons pour le mémorial de l’aryanisation a été couronné de succès plus rapidement que prévu. En l’espace de dix jours seulement, les 40.000 euros nécessaires à l’aménagement de l’intérieur du mémorial ont été réunis par la société civile. Avec le début de la guerre russe contre l’Ukraine, la collecte de fonds a été interrompue peu après, mais un total de 61.671,86 euros de fonds privés est désormais disponible pour la construction du mémorial.

Henning Bleyl, qui a initié le projet de mémorial en tant que rédacteur du taz à l’époque et qui s’engage bénévolement pour sa réalisation depuis son départ du taz, explique une nouvelle fois le contexte de l’initiative du mémorial : »En vidant entièrement les appartements et les maisons des personnes juives, on a détruit leurs espaces et leurs traces de vie. En même temps, la »mise en valeur« intégrale de leurs biens servait à assurer la domination : l’État nazi fonctionnait également comme une »communauté de butin«. Le rôle particulier de Brême dans ce contexte réside dans la logistique de la »liquidation« des biens juifs à l’échelle européenne. C’est sur ce rôle longtemps ignoré que se concentre le mémorial«.

Evin Oettingshausen évoque d’autres étapes nécessaires : »La construction du mémorial est un bon premier pas pour attirer l’attention sur les multiples dimensions des contextes d’expropriation nazis. Une conception multi-perspective du travail culturel de mémoire sur les conséquences de la spoliation nazie et un travail scientifique et de fond plus approfondi, par exemple sur les profiteurs*, devraient à mon avis absolument faire partie des étapes suivantes«.

Henning Bleyl

En avril 2019, un point presse commun a été organisé avec Elvira Noa, présidente de la communauté juive de Brême, au Tiefer

Communiqué de presse :

Un nouvel emplacement est proposé pour l’érection du mémorial de l‘»aryanisation« voté par le conseil municipal en 2016 et destiné à rappeler le rôle particulier de Brême dans la logistique de la »liquidation« des biens juifs de toute l’Europe : il serait construit entre les arcades du Tiefer et le côté est du pont Wilhelm Kaisen. Cette idée a été présentée aujourd’hui lors d’un point presse auquel la communauté juive de Brême était également représentée.

Le projet prévu pour être exécuté par le conseil municipal, tous groupes confondus, consiste en deux puits de vue se rejoignant à angle droit : Vu d’en haut, on ne voit qu’un espace vide qui symbolise l’oubli de l’histoire. De côté, on aperçoit cependant les ombres d’objets d’ameublement qui existaient autrefois. Cette installation thématise la spoliation totale de la population juive, qui a directement précédé le meurtre de masse. Leurs appartements ont été entièrement vidés, tous les biens des déportés ont été »réalisés«, notamment lors de »ventes aux enchères de juifs«.

Pour Evin Oettingshausen, responsable de la conception du mémorial, le mémorial est plus facile à réaliser sur le pont Kaisen que sur les marches de la Schlachte, où la réalisation est actuellement prévue. La raison en est la hauteur très différente du décalage du terrain : »Alors que nous arrivons à 3,15 mètres sur les marches de la Schlachte grâce à des transformations, la hauteur est ici d’environ 6 mètres«, a expliqué Oettingshausen lors de la rencontre avec la presse. »Le puits de vue vertical ainsi rendu possible symbolise les lacunes de l’histoire, sa profondeur renvoie aux traces multiples des contextes d’expropriation«. Il s’agit d’une »invitation à un élargissement de la perspective«, qui peut s’exprimer de manière encore plus adéquate sur le pont que sur les marches.

Elvira Noa, présidente de la communauté juive de Brême, plaide également pour la réalisation du mémorial sur le pont Kaisen : »Cet endroit est très propice à la commémoration«, a déclaré Noa lors de la rencontre avec la presse.

Les arcades servaient de plateforme de grue pour le déchargement des bateaux de navigation intérieure Les biens juifs volés, par exemple à Amsterdam et Anvers, ont également été transportés en grande partie dans des bateaux de navigation intérieure.

Henning Bleyl, qui a initié le projet de mémorial en tant que rédacteur du journal taz et qui s’engage désormais bénévolement pour sa réalisation, se prononce donc en faveur d’un examen technique et financier plus approfondi de l’emplacement du pont. Pour une construction du mémorial sur les marches de la Schlachte, le département de la culture prévoit une somme de 660.000 euros. Sur le pont, les dépenses pourraient être moindres. Bleyl souligne : »Le souvenir n’a pas de prix. La ‘pertinence’ d’un signe durable contre l’antisémitisme ne peut pas être chiffrée en euros. 660.000 euros ne sont en aucun cas ‘trop chers’ pour une intervention durable dans l’espace urbain. Néanmoins, il serait positif pour la faisabilité de base et la large acceptation du mémorial que cela soit possible avec moins d’argent«.

Les synergies visées par les mesures de protection contre les inondations sur les marches de l’abattoir ne sont plus qu’un lointain souvenir : comme on l’a appris récemment, les mesures de protection contre les inondations ne commenceront pas avant trois à cinq ans.

Le contexte du projet:
Depuis quatre ans, on discute à Brême de l’érection d’un mémorial de l‘»aryanisation«, et depuis 2016, sa construction a été décidée par le Parlement. Le contexte est le rôle particulier de Brême en tant que site portuaire et logistique dans la »liquidation« des biens juifs. Celui-ci repose en partie sur l’émigration massive et forcée de familles juives via Bremerhaven. Mais Brême a surtout profité de l’évacuation des biens juifs des pays occupés d’Europe occidentale (»Action M«). Le groupe de transport Kühne+Nagel, dont l’anniversaire de l’entreprise en 2015 a été le déclencheur du débat sur le mémorial, a joué un rôle déterminant dans cette opération.

Le concours d’idées du journal taz pour la conception d’un mémorial : envois, matériaux, photos d’exposition

Un pdf sur le concours d’idées (soumissions, matériel, photos d’exposition) est disponible ici